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O

OMA, ma grand-mère allemande

 

 

 

Oma c’est Anna Görtz. Elle  est  ma grand-mère allemande

Elle est née à Essen, en Allemagne, le 27 août de l’année 1886. Une année riche en évènements .

 

 

 

 

 

 

en 1886

  • naît Robert Schuman et meurt Franz Liszt
  • on invente en  Georgie le Coca-Cola et en Allemagne le Maggi
  • Carl Benz demande et obtient une patente pour son automobile.. Lui et Daimler construisent les premiers moteurs à essence
  • on inaugure la statue de la liberté

en1886, toujours

  • le chef apache Géronimo rend les armes
  • le général Boulanger devient  ministre de la guerre, exile les familles royales et impériales et prononce un discours très belliqueux envers les Allemands.
  • le français   Edouard Drumont publie « la France juive » qui devient un bestseller antisémite
  • on assiste en France à  la montée de l’antisémitisme

Oma est un roman à elle toute seule……

« Irmgard, va à l’hôpital. Je t’en conjure, va à l’hôpital. Ici chez moi tu n’auras que la sage-femme. Pas de médecin et pas d’aide en cas  de souci »

Mais Irmgard, ma mère, ne veut rien entendre. Ce qu’elle veut, c’est accoucher là où elle vit encore,  dans sa maison natale, là où elle  et son jumeau Günter sont nés 24 ans plus tôt.

Oma est terrifiée, elle se souvient de ce garçon qu’elle a mis au monde avant ses jumeaux, ici même  dans cette maison. Si on peut appeler ça mettre un garçon au monde. Il était gros, trop gros, et l’accouchement a duré longtemps, trop longtemps. Finalement il était mort. Avant ? Pendant ? Elle ne le saura jamais.  Ils ont dû le découper pour le sortir de son ventre et pour qu’elle ne meure pas elle aussi.. Ce souvenir hantera à jamais sa mémoire. Alors paniquée elle se précipite à l’église, faire la seule chose qu’elle puisse faire pour sa fille, prier, prier et encore prier.

Alors quand je suis née,  folle de joie, Oma m’a prise dans ses bras. Riant et pleurant à la fois, elle me dit « Auf deiner Hochzeit, will ich tanzen » (Je veux danser à ton mariage). Elle n’a pas tenu parole,  quand elle est morte, je n’avais que 10 ans.

Quelque chose de très fort m’uni à elle… je l’adorais et je l’adore encore.

Toute petite, je me souviens,  mes parents m’emmenaient avec mes frères, passer quelques jours dans ma maison natale. Déjà lève tôt, je m’ennuyais ferme  dans mon lit, tout le monde dormait longtemps, et j’étais toujours  tellement heureuse,  quand je l’entendais déposer le petit déjeuner derrière la porte. Une tranche de pain blanc, avec du beurre et de la confiture, et dessus un tranche de pain complet. Ma « madeleine » à moi.

Oma portait toujours un tablier, toute la journée et tous les jours. 

« Pourquoi, Oma ? »

« Tu comprends, je tenais le magasin de chaussures. Je devais être impeccable pour recevoir les clients. Et en même temps, j’avais tellement de travail. Du travail qui ne pouvait attendre. Les 5 enfants de Opa. Leur maman était morte et eux ils étaient encore petits quand je me suis mariée avec ton grand-père. Ça m’a fait tout de suite une grande famille à m’occuper.  Cette grande maison à entretenir, c’était pas rien. Et il y avait le potager qui occupait presque tout le jardin.. Quand j’ai épousé Opa, il devait rembourser cette maison et on avait beaucoup de dettes. On était très pauvres, alors le potager était vital pour la famille. ET j’avais des poules, tu te souviens, tu aimais beaucoup aller les voir »

« Oui, mais le tablier ? »

« C’est tout simple,  je protégeais ma belle robe avec un tablier que j’avais vite fait d’enlever quand un client arrivait.

« Tu as toujours habité Altendorf alors ? »

« Non, non, avant j’habitais à Essen »

« Mais alors, comment ça se fait que tu as rencontré Opa et ses enfants ? »

 Papa  tenait à ce que j’ai un métier.. Il était très moderne pour l’époque... on était environs en 1900, tu te rends compte ?

« Tu as fait des études alors ? »

« Non, bien sûr. Je n’ai pas fait d’études… son modernisme n’allait pas jusque-là, quand même et d’ailleurs personne chez nous n’en a fait.

J’ai fait un apprentissage de vendeuse… avec un certificat à la fin. ET je lui en ai été très reconnaissante. C’est grâce à mon  métier que j’ai rencontré Opa »

« Comment ça ? »

« J’étais appréciée, je faisais bien mon boulot et j’avais envie de progresser. Alors très vite je suis devenue première vendeuse et responsable des achats de ce qui devait être vendu.

Vers 1912  Konsum Wohlfahrt a multiplié ses épiceries aux alentours de Bochum

Quand elles ont ouvert en 1912 une succursale à Altendorf, ils m’ont embauchée, pour gérer en quelque sorte le magasin. Cette épicerie se trouvait dans la maison qui appartenait à Theodor qui n’était pas encore mon Theodor. il y vivait dans la partie de gauche avec sa femme, Christine, et leurs 7 enfants. Il avait accepté que le Konsum de Wohlfahrt s’installe dans la partie droite, parce que ça l’aidait à rembourser les crédits.  

Theodor avait l’habitude de dire : «  das Bauen ist eine Lust, doch was es kostet hab‘ ich nicht gewusst“ (construire est un plaisir, mais ce que ça coûte, ça je ne le savais pas). Ils étaient très pauvres, très

Et Christine est morte, comme maman, d’une maladie des poumons. Leurs  7 enfants sans maman, si petits, me faisaient mal au cœur. Et ce veuf perdu aussi. En plus vraiment il était très séduisant.

Très vite on s’est mariés, 1 an après la mort de Christine

«  Ben dis donc Oma, tu devais être drôlement amoureuse de lui »

« Oui, c’est sûr, car tant d’enfants, pas facile… j’avais  26 ans, personne ne m’avait plu jusque là… pourtant les prétendants ne manquaient pas. (Oma éclate de rire).  Mes sœurs étaient presque choquées… et pas très enthousiastes.. Bien plus tard… quand les choses devinrent compliquées… elles disaient « an jedem Finger hatte sie einen, und gerade den musste sie nehmen ».(‘à chaque doigt elle en avait un et il a fallu qu’elle prenne justement celui-là)

« ça veut dire quoi que tu en avais un à chaque doigt ? »

Que j’avais autant de prétendants que mes mains avaient de doigts , elles pensaient qe je n’aurai pas du le prendre, lui…

Oma rit à nouveau

« Pourquoi qu’elles étaient pas d’accord avec ton choix, tes sœurs ? »

« Parce qu’il avait 7 enfants, c’était beaucoup. Et c’est pas facile en plus d’élever les enfants d’une autre… 7 surtout…elles avaient raison … ça a été vraiment beaucoup de travail  et en plus je n’étais pas leur mère, pour eux comme pour moi

Aussi parce qu’il avait plein de dettes avec cette maison,  et un petit métier de cordonnier. Il était pauvre au point de devoir aller en plus  travailler dans la mine.  Il a fallu supprimer le sucre de la table du petit déjeuner.. tellement on manquait d’argent et du beurre il n’y en avait pas tous les jours. Les œufs, jamais plus de 1 et, que le dimanche. Là aussi elles avaient raison. A peine mariée j’ai dû me priver et être stricte,  trop stricte,  pour qu’on puisse s’en sortir.

Et aussi parce qu’il avait 14 ans de plus que moi, mon Theodor. Et là elles avaient encore et encore raison. Moi j’avais envie de vivre, de faire la fête. Pas lui. Alors j’ai compensé en m’occupant de cette association de Lourdes.. Je suis allée plein de fois à Lourdes, tu sais,  en pèlerinage, ça me faisait sortir de chez moi. Je partais aussi à pieds avec mes sœurs en pèlerinage à Neviges… ça aussi, ça me faisait aussi sortir de chez moi. Et avec mon frère Hans, on faisait des randonnées…Bien sur tout ça seulement  une fois tous les enfants grands et que j’ai commencé à avoir plus de temps. Theodor a bien compris, va , que j’en avais besoin. Il n’a jamais râlé et m’a toujours laissé faire.

Pour finir,  parce que,  orphelin très jeune de père et de mère,  Theodor  s’était renfermé, avait du mal à exprimer ses sentiments,  parlait peu. Moi j’avais envie qu’il me dise qu’il m’aimait, qu’il me trouvait jolie.. Ah ben non, il le disait jamais, ça jamais.

Mais il tenait à moi je l’ai compris malgré les difficultés de notre mariage et même je suis certaine qu’il est vite tombé amoureux de moi quand il a été veuf. Christine était malade depuis si longtemps et je riais si bien. » 

« Puis qu’il te le disait pas, comment que tu l’a su, Oma ? »

Parce qu’il m’a toujours soutenue. Par exemple quand j’apportais le repas et que l’un ou l’autre ne voulait pas manger de l’une ou l’autre chose que j’avais cuisinée,  il disait toujours, « Was auf den Tisch kommt, wird gegessen » (» ce qui arrive sur la table, on le mange »)

 Il n’’y a pas que pour les repas, qu’il me soutenait et me faisait confiance.

Il m’a laissé gérer le magasin de chaussures qu’il avait ouvert au RDC… Jamais il ne s’est mêlé, j’avais tous les droits,  pour acheter, vendre, décider et faire les comptes. C’était vraiment une vie accomplie.. je me sentais libre et indépendante. Il était moderne ton Opa.. Même si c’était un peu obligé pour s’en sortir. Pour lui une femme valait tout autant qu’un homme, ça c’est sûr. Tu sais quand son père est décédé sa mère a dû tout assumer,  et ils étaient nombreux aussi. Il admirait et respectait sa mère, il a fait pareil avec moi. Il disait toujours à ses filles et la nôtre, « si tu veux savoir comment il sera avec toi, regarde comment il est avec sa mère »

« Après il y a eu la guerre, tout le monde souffrait de faim en Allemagne, vous aussi alors ? »

« Pas vraiment

J’avais ce grand jardin que tu connais bien. C’était du travail oui, mais grâce à lui on avait légumes et fruits.

Comme je t’ai dit, je vendais des chaussures et Opa les réparait. Et moi je gérais l’argent du ménage. Parmi nos clients il y avait des paysans. Alors j’ai demandé à ce qu’on soit payé en nature, beurre, viande, etc… ça nous a évité de souffrir vraiment de la faim

Mais ça a été très difficile à vivre,  cette période de ce fou d’Hitler. Pour bien d’autres raisons. »

« Raconte, Oma »

Hitler, Theodor et moi on a tout de suite été contre. Il avait même pas été élu par la majorité des allemands, et nous on avait pas voté pour non plus. On était même, dès le départ, carrément contre. .On ne supportait pas comment il hurlait fanatiquement et on avait quand même écouté, et entendu les horribles choses qu’il disait !

 Ah oui, il promettait du travail, et a fait construire les autoroutes, entre autres…. il y avait tant de chômeurs, que ça a plu à certains. Ceux-là ont fait semblant de n’avoir pas entendu toutes les horreurs qu’il avait déjà dites… Tiens tu sais la voisine de la maison d’en haut, tu te souviens d’elle ? Et bien son fils a été un des premiers à trouver du travail. Alors toute fière elle est venue nous le dire… Nous, on a rien répondu du tout. Déjà on avait pas envie, et on avait déjà aussi compris qu’il ne fallait pas trop dire ce qu’on pensait. Et bien quand ce monstre nous a entraînés dans la guerre, le fils de cette voisine a été le premier de Altendorf à tomber.  Ça m’a marquée. Quelle souffrance que de perdre un fils. Opa n’a jamais surmonté la mort de son fils Hugo à la première guerre et moi à la seconde j’ai tellement eu peur pour Günter, le nôtre.

Et puis il y avait tout ce qui se disait, en chuchotant.. Et ces grossistes juifs qui, avant, nous vendaient leurs chaussures et qui soudain n’étaient plus là.

À Altendorf nous étions une majorité à être contre le nazisme. Il fallait certes être très prudents, mais comme nous étions nombreux on se permettait quelques petites rebellions. On continuait à aller à l’église qui était remplie et le curé disait haut et fort ce qu’il pensait. Toujours il commençait en disant, «  vous les espions du régime, sortez vos stylos et vos calepins et notez bien tout » A la première fête Dieu où il avait été interdit de pavoiser, on avait mis nos tuteurs à haricots aux fenêtres. Tous. Qu’est-ce qu’on a ri. On était quand même inconscients, car ailleurs on disparaissait pour moins que ça.

Il fallait se méfier, même des voisins. Theodor avait la radio, les infos c’étaient sa passion. Seulement sous le régime elles étaient, toutes, complètement fausses. Alors il montait sur la chaise, mettait la radio tout bas et écoutait la radio anglaise. C’ était complètement interdit. On pouvait être enfermé pour ça. Le jour où une cousine est venue nous dire… « vous avez entendu que ceci et que cela »… on a tout de suite su qu’elle avait écouté la radio anglaise… mais on a fait les étonnés, comme si on ne savait rien du tout.

A droite de la maison on avait une extension qui servait de dépôt à l’épicerie . Quand l’épicerie est partie, cette pièce a été louée à une organisation catholiques pour jeunes hommes. En 1944 elle a été réquisitionnée par une filiale de la SA… Impossible à refuser.. On en était malades et bien soulagés quand cette organisation Todt a quitté les lieux un an après, on sait pas pourquoi. Nous en tous cas, on a de suite redonné cette pièce à une association de la jeunesse catholique.

Et la jeunesse hitlérienne à laquelle fallait qu’on inscrive ta mère et Günter. Theodor et moi, on était d’accord, on voulait pas qu’ils y aillent… On a tenu ce qu’on a pu.  Mais il est arrivé un moment où nous étions presque les seuls. Il a fallu céder. On a réussi à contourner la chose en les envoyant faire une sorte de service civil chez des amis. On avait tellement peur qu’ils soient endoctrinés

D’un commun accord, ton grand père et moi avons accueilli ton père, STO à Bochum quand suite aux bombardements il n’avait plus de travail, ni même où aller. Peu importe qu’il soit en quelque sorte  l’ennemi. Il était le prof de français de ta mère, ça nous a suffi. C’était quand même très risqué »

 « Mais vous n’aviez pas, vous, été détruits par les bombardements alors ? »

Annemarie, les alliés bombardaient les villes. Altendorf à la guerre était un village.

Dans notre maison nous n’avons pas accueilli que ton père

Mais bon, j’avais toujours peur pendant cette période. Ta mère avait eu la lubie d’arrêter de travailler chez C Otto et prenait des cours de langues à Bochum. Non seulement elle risquait de devoir aller sur le front dans une usine d’armements, mais en plus il y avait les bombes, sans arrêt. Si nous n’avons pas dit non, c’est que moi j’ai eu cette chance d’avoir un père moderne et mon Théo, finalement l’était aussi. Et c’ est là qu’elle a rencontré son français, ton père…Et te voilà, toi Annemarie,  à me poser des questions »

Oma éclate de rire et me prends dans ses bras

.Perso je trouve que les évènements de l’année de naissance correspondent assez bien à sa vie.

Oma a été encouragée par son père à devenir la femme indépendante et déterminée qu’elle a été. Très croyante et aimante elle a toujours agi en fonction de ses convictions, le plus qu’il lui a été possible.

Avec Opa elle a traversé cette terrible période de la deuxième guerre mondiale, sans jamais démériter.

Elle ne connaissait rien au jardin  mais quand il s’est agi du bien être de sa famille elle a tout appris avec ardeur. Une voisine disait, en parlait d’elle, que c’était le paysan le plus bête qui avait les plus belles pommes de terre.

Elle adorait regarder ses poules vivre. C’était ses moments de joie et d’intense bonheur.

J’ai hérité d’elle l’amour du jardinage et des poules.

Elle a continué à aimer la Vierge et les pèlerinages. Il me restera toujours en tête cette anecdote que je tiens de ma mère. Maman venait d’accoucher de son deuxième fils et Oma est venue chez eux à Sarrebruck pour aider. Mais il y avait déjà mémé Madeleine qui était là. Alors mon père pris entre sa mère et sa belle-mère offrit à Oma un voyage à Lourdes. Voyage que Oma s’empressa d’accepter… Maman lui en a toujours voulu. ….. Petite anecdote de ma part à moi, quand ma fille naquit, elle aussi la troisième de mes enfants, maman était en pèlerinage elle aussi ! Elle aussi à Lourdes J J J

 

Oma est morte à 71 ans, au même âge que sa mère. Comme elle, elle est morte en ayant du mal à respirer. Comme elle, maman a eu une grave insuffisance cardiaque et a manqué d’air. Mais maman a vécu jusque presque 93ans, comme son père.

PS

L’armistice signée, mes parents se sont mariés à Altendorf. Deux fois. Enfin je veux dire, civilement en 1946 et à l’église en 1947. Ça m’a toujours intriguée. Ce n’est que dernièrement que j’ai appris pourquoi,  par la fille d’une des demi sœurs de maman. Les bombardements des alliés avaient fait d’énormes dégâts en Allemagne et il était plus que difficile de trouver un logement. Les gens mariés étaient prioritaires. ET mes parents  étaient doublement prioritaires du fait que papa était français. Les français qui cherchaient un logement passaient en premier

 

OMA et les siens

 

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