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B

Berthe et le mois d’octobre

 

 

19 octobre 1952….. Nous sommes à Verrières le Buisson au numéro 1 de la rue de la Boulie.

 

Berthe est alitée dans sa petite chambre à coucher, comme si souvent maintenant. Il faut dire qu’avec les ans et le chagrin, elle a pris beaucoup de poids, jusqu’à être devenue ce qu’on appelle obèse.

Après cet été si chaud, presque 38 degrés, au point que les parisiens avaient transformé les quais en plage, il y avait eu fin septembre avec ces deux cyclones qui avaient traversé la France, des vents allant jusqu’à 115/135 km/h et beaucoup de maisons détruites..

Pas celle de Berthe, heureusement, mais elle-même en sortait épuisée.

 

 Alphonse, son second mari, est près d’elle.

Il vient de lui apporter la photo qu’elle réclamait, une vielle photo d’un couple qu’on reconnaît à peine tant le temps l’a altérée.

 Il est là, attentif, même s’il ne prête guère attention aux paroles si souvent entendues. Il ne lui en veut pas, ça fait maintenant 33 ans qu’ils sont mariés et  il sait qu’il n’a jamais été son grand amour.

Veuve depuis 5 ans, trois filles, pas très grandes, à charge,…maraîchère, elle avait du mal à exploiter seule ses cultures ; alors, elle avait fait paraître une annonce pour trouver un mari, un second mari, qui pourrait l’aider.

 Et c’était lui qui avait répondu…. sans jamais l’avoir regretté.

Ses trois filles à Berthe il les avait élevées, et aimées  et les petits enfants à Berthe avaient été ses petits enfants à lui aussi.

De la famille de Georges, ce premier mari,  il avait fait la sienne, allant même jusqu’à s’occuper du père et de la belle-mère de Georges…

 Il n’avait, certes,  pas été ni le premier ni le grand amour de Berthe, mais il était le dernier, celui qui était là jusqu’au bout.

 

Et maintenant, il est là, près d’elle, écoutant  sans y prêter grande attention sa voix essoufflée et fatiguée…. la regardant avec tendresse.

«Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de sa mort…. aujourd’hui, ça fait 38 ans que les allemands me l’ont tué, mon Georges…

Regarde, Alphonse, regarde….. J’étais belle hein, et lui comme il était beau.

C’est la dernière fois que nous étions ensembles, tu sais,  juste avant qu’il ne parte pour cette horrible guerre…. Il y en avait une pour moi et une pour lui, pour que je sois avec lui et lui avec moi.

Il m’a manqué dès le premier jour. Comme il m’a manqué ! Et je tremblais de le perdre… Je n’ai jamais cessé de trembler pour lui, pas un seul jour, pas une seule seconde.

Au début il m’écrivait …. et un jour plus rien. Alors quand on a sonné à ma porte,  tu sais dans l’autre maison,  au 7 de cette rue, j’ai de suite su… et ça a été comme si mon cœur avait cessé de battre.

On m’a dit que Georges, mon Georges, s’était pris un éclat d’obus en plein cœur, loin de moi, quelque part dans le Nord-Pas-de Calais. Et que cela l’avait tué… Tué à l’ennemi m’a-t-on dit….

Le 19 octobre, à 15 heures…

Oh Alphonse, tu penses qu’il a eu le temps de souffrir ? De penser’ à moi et à nos trois petites. ????? Non, hein, dis-moi que non……..

 

Sans lui, ça a été si dur…. jusqu’à ce que tu viennes t’occuper de nous… merci Alphonse, merci tellement…. tu le sais, hein, que j’ai de l’affection pour toi ….. Même si j’ai jamais pu l’oublier mon Georges.

Tu sais, Alphonse, ce  mois d’octobre, je ne l’ai pas toujours eu en horreur, 

Il a commencé par être le plus beau jour de ma vie….c’est en octobre que j’ai  dit « oui » à Georges. J’avais 17 ans et lui 24.  Remarque, il était grand temps, j’étais prête à accoucher, Jeanne était en route et bien en route, … elle est née le 12 novembre !!!

Georges, tu sais,  j’étais  tombée tout de suite amoureuse de lui et lui pareil de moi…. c’était fou et torride. Je n’ai jamais pu lui résister… jamais…

 

Après Jeanne il y eu Madeleine et puis notre pauvre Georgette… morte à 27 ans d’un truc au cœur, un trou m’a ton dit ….

Le samedi elle avait dansé toute la nuit et le lundi elle  mourrait… comme si elle avait voulu mourir comme son père d’un trou dans le cœur….à moins que ce ne soit son père qui ait choisi de mourir le cœur explosé,  comme s’il s’était sacrifié, comme s’il avait pensé mourir à sa place … pour ne pas qu’elle meure elle.

 

Voilà, drôle de mois d’octobre,  aujourd’hui c’est l’anniversaire de sa mort et dans trois jours ce sera l’anniversaire de son mariage avec moi

 

Alphonse, cher Alphonse, la vie avec toi a été belle, oui, belle. Mais je suis fatiguée, tellement fatiguée  et Georges je n’arrive pas à l’oublier… »

 

Le lendemain, 20 octobre à 23 heures  Berthe mourrait.

51 ans après lui avoir dit « oui » elle rejoignait celui qui l’avait quittée dans la mort 38 ans plus tôt, son Georges.

 

Octobre avait vu tour à tour leur union, leur séparation et leurs retrouvailles….

  

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